"L'asset management suisse doit continuer à croître sur des marchés de niche"

Jean Christophe Rochat

Jean-Christophe Rochat
Chief Investment Officer, Head Asset Management, Banque Heritage

Jean-Christophe Rochat a plus de 15 ans d'expérience en gestion d'actifs. Il a débuté sa carrière chez Lombard Odier en 2004 et a occupé différents postes d’analyste financier au sein du département Asset Management. En 2009, il a rejoint la Banque Heritage où il a développé et géré l’activité de sélection de fonds. En 2012, il a lancé la plateforme de conseil multi-actifs et a géré l'activité jusqu'au début 2019, date à laquelle il a été nommé Chief Investment Officer du groupe. M. Rochat est titulaire d’un Master en Administration des Affaires de l'Université Lyon 3 (France). Il est certifié CIIA (Certified International Investment Analysts) et CWMA (Certified Wealth Management Advisor).

 

Monsieur Rochat, en tant que Chief Investment Officer, vous devez être en permanence à l'écoute du marché : quelles sont les données que vous consultez le plus régulièrement ?

Nous vivons dans un monde complexe où l'information est omniprésente et où chaque information peut entraîner une réaction quasi instantanée et parfois totalement disproportionnée. C'est pourquoi je pense qu'une partie importante du temps d'un CIO doit être consacrée à la collecte et au traitement de l'information. Pour ma part, "Bloomberg" reste la source de données que je consulte le plus souvent, tant pour les données brutes du marché (évolution du marché) que pour les nouvelles du marché. J'aime également lire la presse internationale, que ce soit pour comprendre les facteurs macroéconomiques qui affectent l'économie, la géopolitique ou les grandes tendances en matière d'investissement. Le "Financial Times" reste pour moi un incontournable, malgré son biais anglo-saxon. Sans oublier les réseaux sociaux. La plateforme LinkedIn est une source d'information riche et gratuite ! Mais il faut trier les informations qui ont de la valeur pour vous !

Les gestionnaires d'actifs disent souvent : Il faut rester fidèle à ses convictions. Quels changements dans les données vous convainquent de dévier de vos convictions ?


C'est tout à fait vrai. Il est important de se concentrer sur les convictions que l'on a construites au fil du temps, au fil des cycles. Je suis plus enclin à revoir mes vues, et donc mon positionnement, sur la base de données macroéconomiques que de données microéconomiques. D'autre part, pour ne pas surréagir, j'ai besoin d'observer des changements qui se matérialisent sur des périodes de temps significatives, plutôt que sur une ou deux observations successives.

La Banque Heritage offre des possibilités d'investissement traditionnelles et alternatives. Comment un acteur relativement petit peut-il rivaliser avec des gestionnaires d'actifs mondiaux qui peuvent offrir toute la gamme des investissements ?


Banque Heritage a été un multi-family office pendant plus de 15 ans avant de devenir une banque. Comme pour tout family office, l'indépendance dans ses décisions d'investissement a toujours été un facteur clé de performance. Aujourd'hui, cette indépendance reste au cœur du processus d'investissement de nos clients. Conscients des difficultés liées à la gestion de fonds, en particulier pour un petit acteur, nous avons choisi un modèle d'architecture ouverte transparent il y a déjà de nombreuses années. Cela nous permet de rester agiles et flexibles. Nous pensons que de nombreux acteurs du marché souhaitent encore gérer des produits d'investissement et sont en quelque sorte contraints, en raison de leur taille, de conserver à tout prix ces produits dans leurs portefeuilles discrétionnaires. Ce n'est clairement pas un modèle que nous voulons offrir à nos clients et c'est ce que nous voulons.

Envisagez-vous de nouvelles opportunités d'investissement pour élargir votre offre et quelles sont-elles ?


Depuis 2015, nous avons été très actifs dans la dette privée et, dans une moindre mesure, dans le capital-investissement. À la suite du revirement de la politique monétaire, nous avons mis ce thème d'investissement en veilleuse car la hausse des taux d'intérêt a pesé lourdement sur les modèles d'affaires et les valorisations. Nous évaluons actuellement ces stratégies car nous pensons que la fin du resserrement est proche et que des opportunités vont émerger. Tout au long de cette période de resserrement, les entreprises ont fait preuve d'une incroyable résilience, adaptant leurs modèles d'entreprise pour absorber des coûts de production plus élevés et des coûts de financement toujours plus importants. Nombre d'entre elles sont extrêmement bien gérées. Dans quelques mois, les opportunités d'investissement devraient être nombreuses.

Où voyez-vous la plus grande marge d'amélioration pour que l'industrie suisse de l'asset management soit plus compétitive ?


La Suisse est l'un des pays les plus compétitifs au monde et un pôle d'innovation reconnu. Elle a réussi à se positionner comme pionnière dans la conservation des actifs numériques, renforçant ainsi son rôle dans la gestion de fortune mondiale. Cependant, victime de son succès, elle souffre de coûts de productivité souvent plus élevés que ceux d'autres centres financiers "innovants". Les nouvelles technologies telles que l'intelligence artificielle et la blockchain devraient être adoptées plus intensivement par les acteurs de l'asset management afin d'accroître l'efficacité de certains modèles d'affaires et de réduire les coûts. L'industrie suisse doit également étendre sa présence et son influence sur les marchés mondiaux, en particulier dans les régions émergentes telles que l'Asie et le Moyen-Orient, où il existe une forte demande pour l'asset management "made in Switzerland".

Outre les trois grandes lettres ESG, où voyez-vous des opportunités de croissance pour l'asset management suisse ?


Cette question est étroitement liée à mes réponses précédentes. L'asset management en Suisse ne trouvera pas de moteur de croissance dans les stratégies "plain vanilla", où un grand nombre d'acteurs internationaux occupent une position dominante. Au contraire, elle doit continuer à croître sur des marchés de niche en développant des solutions d'investissement innovantes intégrées dans des modèles d'affaires efficaces. Selon moi, les investissements non cotés restent l'un des marchés les plus prometteurs aujourd'hui, dans un monde où les intermédiaires financiers réduisent leur appétit pour le risque, où la recherche de capitaux reste primordiale et où la demande d'investissements non traditionnels augmente rapidement. Combinée à l'intelligence artificielle et à la digitalisation, l'offre devrait continuer à convaincre et à obéir aux mécanismes démocratiques.

Voyez-vous des différences dans la culture de l'asset management entre Genève et Zurich ?


De moins en moins. Genève et Zurich restent deux centres financiers importants. Avant 2008, Genève était connue pour son expertise en matière de banque privée et d'asset management, tandis que Zurich se concentrait davantage sur la banque d'investissement et l'assurance, c'est-à-dire une ingénierie plus complexe. Si les activités d'assurance sont encore très présentes, les nombreuses réglementations introduites au cours de la dernière décennie et les revers subis par le Credit Suisse ont probablement marginalisé la banque d'investissement. En conséquence, les lignes d'activité et les bases de clientèle ont eu tendance à s'homogénéiser.

Citez trois ouvrages qu'un professionnel de la gestion d'actifs devrait lire.

" L'investisseur intelligenbt" de Benjamin Graham.Il présente les principes fondamentaux de l'investissement dans la valeur. "Rogue Trader" de Nik Leeson : il nous rappelle qu'il n'a pas fallu attendre Lehman Brothers pour découvrir que l'on peut couler une banque avec des produits financiers. Et s'il fallait citer un film, je recommanderais sans hésiter "Le loup de Wall Street", même si c'est avant tout pour se divertir.

Où trouvez-vous l'espace nécessaire pour vous détendre après une période de travail intense ?

Je recharge mes batteries à la maison, avec mes enfants et ma femme. La course à pied est également un refuge important pour moi.